Les invisibles


Un documentaire photographique sur l’électrosensibilité en France

Marylène, Stéphane, Françoise, Yves, Marie-Pierre et les autres… J’étais parti photographier l’électrosensibilité, cette affection lointaine, étrange, intangible, et voilà que je rencontrais des hommes et des femmes si proches de moi. Des parcours de vie linéaires, normés, soudain distordus par une sorte d’allergie aux ondes qui rend intolérable le quotidien. Des maux de tête terribles, une confusion, un brouillard mental, bientôt suivis d’un grand isolement. En effet, comment échapper à ces ondes qui sont par définition partout, à l’heure où chaque zone blanche est listée par l’État pour être couverte par les opérateurs ? Comment en réchapper physiquement et mentalement, quand autour de vous, tous mettent en doute votre mal, et bientôt votre santé mentale ? Face à la totale absence de prise en charge, de soutien, ou même de crédit, chacun trouve des solutions de fortune. Certains se terrent sous des cages de Faraday de toutes sortes, d’autres s’isolent à l’abri d’une colline ou d’une vallée encore préservée. D’autres aussi, subissent en silence. Mais tous ont ce point commun d’avoir vécu une vie avant, une vie sans hypersensibilité, souvent connectée, équilibrée, moderne, et d’avoir basculé un jour, dans l’indifférence. Ainsi, ça pourrait être nous, demain.
Par une série photographique mêlant portraits intimes, natures mortes précises et paysages, j’ai souhaité montrer ces invisibles avec un regard sans jugement, mais pas sans émotion, à la fois documentaire et empathique.

Contexte

J’étais arrivé en me promettant d’arrêter le travail si rien de concret ne laissait penser que l’affection était réelle; pour être tout à fait honnête, je craignais un peu les exagérations et les amalgames, comme tout le monde, je ne comprenais pas bien. Mais j’ai vite intégré que peu importait mon avis sur la question, les souffrances étaient réelles, et les parcours de vie, bouleversés. Et que cela pouvait nous toucher tous.

Voilà pourquoi j’ai voulu les photographier non dans l’habituel accoutrement pourtant si spectaculaire (cage de faraday textile), mais dans leur quotidien. Pour que chacun puisse se projeter.

Car dans son rapport de 2016, l’Anses estime qu’environ 5 % de la population française serait électrosensible (3,3 millions). Elle affirme que « les douleurs et la souffrance exprimées par les personnes se déclarant EHS correspondent à une réalité vécue, les conduisant à adapter leur quotidien pour y faire face.» Et si « les connaissances scientifiques actuelles ne mettent pas en évidence de lien de cause à effet entre les symptômes dont souffrent les personnes se déclarant EHS et leur exposition aux ondes électromagnétiques, néanmoins, les symptômes, qui peuvent avoir un retentissement important sur la qualité de vie de ces personnes, nécessitent et justifient une prise en charge adaptée par les acteurs des domaines sanitaire et social. »

Or aujourd’hui, le parcours d’un EHS est celui de la solitude et du rejet. La plupart ont d’immenses difficultés au travail, quand toutefois ils en ont encore un. Nombreux ont vu leur famille s’éloigner aussi, souvent dans les cas sévères, où, à l’intolérance aux ondes hautes fréquences, s’ajoute celle des basses fréquences. Alors le courant électrique devient problématique, et il faut le couper dès que possible. Finalement, la maladie devient sociale aussi, mêlant souffrances physiques, précarité et isolement.

À l’heure où l’hyperconnectivité est érigée en dogme, et sa contestation est balayée d’un adjectif méprisant, on peut s’interroger sur cette course en avant. Ces personnes photographiées ici sont-elles des cas isolés, ou le sommaire de ce qui nous attend tous, à l’aube de la 5G, et de ses objets connectés ? Dans le premier cas, il serait humain de les prendre en charge, de les aider, de les respecter. Dans le deuxième, il serait vital de prendre le temps des études épidémiologiques avant d’aller plus loin.